LA CRISE FRANCOPHONE
LA CRISE FRANCOPHONE
(Ce texte est une traduction)
Récemment, je suis tombé sur un article intitulé « La fausse crise anglophone » par je-ne-sais-qui. J'ai lu l'article et à la fin j'ai réalisé que l'objectif de son auteur était de faire remarquer une indignation sélective (dit-iel) sur deux événements qui lui semblaient pareils. L'article faisait une comparaison entre l'indignation publique qui a suivi le meurtre de Carolouise Ndialle, fillette de 5 ans, par un agent des forces de l'ordre à Buea le 14 octobre 2021 et (ce que l'auteur suggère) l'indifférence du public à l'assassinat par des séparatistes (dit l'auteur) d'Alain Jocker à Bamenda deux semaines plus tard, et conclut sur l'hypocrisie des Camerounais.
L'article ne dit rien sur la façon dont les événements décrits auraient contribué à ce qui serait une «fausse crise anglophone» et n'a abordé aucunement la substance ou les causes de la situation au Cameroun.
Il y a deux explications possibles à ceci. Soit l'article a été publié avant que l'auteur ne l'achève, soit l'envie de faire un point idéologique était plus forte que la capacité de faire une analyse pertinente. Je remarque que beaucoup de ce type arguments fondés sur l'idéologie se sont fait une place publique et participent à complexifier les crises qui affligent le Cameroun.
À titre d'exemple, l'ancienne députée Marlyse Douala Bell a fait valoir que depuis le début, les griefs et la posture des anglophones vis-à-vis de l'État étaient un arnaque. Elle a déclaré que les représentants anglophones modifiaient leurs demandes chaque fois que le gouvernement y répondait et ont conclu que les griefs exprimés par les enseignants et les avocats étaient des écrans de fumée qui couvraient leurs intentions réelles qui sont actuellement pleinement exprimées par les fédéralistes ou les séparatistes. De telles opinions ont été partagées par d'autres acteurs bellicistes déterminés à détourner l'attention des causes profondes du problème.
Au début de la crise, le Professeur Mathias Eric Owona Nguini a fait valoir que les griefs étaient soit une manœuvre mal voilée visant finalement à prendre le pouvoir, soit sinon, au moins avoir une influence sur tout éventuel vainqueur des élections présidentielles de 2018. La durée de vie de cet argument a expiré après les élections lorsqu'aucun lien sérieux n'a pu être établi entre les griefs et l'agenda d'un candidat quelconque. Le Professeur Owona Nguini ne croyait certainement pas à ce qu'il disait mais il savait trop bien ce qui arrive au Cameroun à quiconque lance un sérieux défi pour prendre le pouvoir… et cette connaissance a pu motiver l'orientation de son analyse. Ce genre de manipulation / posture politique a belle vie sur la scène camerounaise et constitue l'intérêt de cet article.
Je soutiendrai que l'idée d'une « crise anglophone » est en effet fausse. Aussi, je partagerai l'opinion qu'à travers l'utilisation de l'expression « crise anglophone » la communauté francophone projette ses propres insécurités sur la communauté anglophone et par conséquent, que la vraie crise qui sévit au Cameroun est une CRISE FRANCOPHONE. Je conclurai qu'au Cameroun, il y a un PROBLÈME ANGLOPHONE et une CRISE FRANCOPHONE.
1. LA FAUSSE CRISE ANGLOPHONE
Le terme « crise anglophone » a été largement utilisé dans les circonstances actuelles et je sursaute à chaque fois que je l'entends. À mon avis, les anglophones ont un problème au Cameroun qui a entraîné une crise pour le pays; ou mieux encore, qui a entraîné une crise dans les relations entre les parties constitutives du pays.
En effet, les anglophones sont en paix avec eux-mêmes. Ils sont en paix avec l'héritage qu'ils défendent. Ils sont en paix avec les valeurs qu'ils soutiennent et avec le rôle qu'ils devraient jouer dans le déroulement de l'expérience d'unification.
En ce sens, l'idée que la CRISE ANGLOPHONE est une 'fausse crise' est vraie. Cependant, il faut noter que certaines personnes utilisent les expressions « crise anglophone » et « problème anglophone » de façon interchangeable comme si les deux expressions renvoyaient à une même réalité. Même là, l'idée d'un « faux problème anglophone » (si l'auteur cité plus haut entendait délégitimer les « causes profondes ») serait le prolongement d'un faux récit semblable à la déformation des griefs entre 2016 et 2021 attribuée à Marlyse Douala plus haut. S'il est vrai que la liste des griefs pouvait être considérée comme différente d'un moment à l'autre de la crise, il est important de noter que ces différences étaient dues à la maturation des griefs et non à la mutation.
Dans un avis que j'ai partagé en 2016, j'ai fait valoir que les doléances posées à l'époque allaient mûrir et que les mesures/solutions qui pouvaient apaiser les tensions en fin 2016 ne seront pas jugées suffisantes si elles ne s'appliquaient que deux ou trois ans plus tard.
L'avocat, Me Agbor Balla avait avancé un argument similaire lorsqu'il a déclaré que même si le gouvernement interdisait à quiconque de parler de fédéralisme, un temps viendra où le gouvernement lui-même offrira l'option fédérale et la communauté anglophone ne la trouverait pas adéquate.
De ceci, je retiens qu'il existe des postures idéologiques et des carences dans la gestion et la gouvernance des communautés socioprofessionnelles, des ressources, de l'accès aux opportunités et de l'identité nationale (ou ce qu'il en reste) qui ont conduit à la projection d'une «crise» sur la communauté anglophone. Une telle projection est une tendance reconnue en psychologie où un sujet prend inconsciemment des émotions indésirables ou des traits qu'il n'aime pas chez lui et les attribue à quelqu'un d'autre. L'exemple classique est le conjoint infidèle qui accuse constamment son partenaire d'infidélité.
Dans cette optique, l'idée d'une crise anglophone est en fait révélatrice d'une crise francophone profonde qui est soit inavouée, soit connue mais non assumée.
2. LA CRISE FRANCOPHONE
Il existe de nombreux indices qu'une profonde crise francophone existe au Cameroun
2.1. Crise d'identité francophone
La crise d'identité francophone est complexe et doit être comprise en saisissant le francophone territorial, historique, culturel et donc, politique.
Avant 1961, la République du Cameroun et le Southern Cameroons étaient des entités politiques distinctes. Ils ont développé/acquis des cultures politiques et des attitudes tellement différentes vis-à-vis de la gestion publique que la fusion de 1961 n'a pas pu effacer. Alors que les anglophones participaient à la gouvernance de leur territoire, les francophones étaient 'gouvernés' ou soumis à la tutelle.
Par conséquent, pour les anglophones, l'autonomie gouvernementale, la priorité au gouvernement local, la participation au gouvernement, la démocratie parlementaire et la comptabilité sont un réflexe et une identité politique.
Pour les francophones, parce que les Français superposaient un modèle de gouvernement qui ne favorisait pas (c'est-à-dire ne tolérait pas) l'apport local, le réflexe de gouvernement après le départ des Français était d'essayer de reproduire ce qu'ils avaient vu faire « leur maître ». Cela se traduit non seulement par l'imposition ou l'expérimentation d'un système politique qui ne fait pas corps avec les coutumes locales, mais démontre également un grave manque d'identité sociopolitique de la communauté francophone. C'est à cet égard que le refus de reconnaître l'identité politique des anglophones par les francophones est en réalité une projection sur les anglophones d'une crise identitaire francophone.
Diverses idées ont été lancées pour tenter de créer une identité cohérente qui, en même temps, présenterait les francophones comme homogènes et (c'est important) diluerait l'identité anglophone.
2.1.1. Référence coloniale allemande
Référence est faite à l'ère coloniale allemande par les révisionnistes francophones pour suggérer que la période de tutelle britannique était une parenthèse passagère par laquelle une partie du Cameroun ne peut pas se définir... étant donné que ce qui est devenu 'la République du Cameroun' et le 'Southern Cameroons' faisaient partie du Kamerun allemand. Cet argument a deux défauts :
Premièrement, le fait d'une époque coloniale allemande ne peut nier d'une part, l'influence que les Britanniques ont eue sur ce qui est devenu le Southern Cameroons et d'autre part, le fait que les descendants de cet héritage choisissent de s'identifier à cette influence.
Deuxièmement, la suggestion de la recréation d'une identité basée sur le territoire colonial allemand crée potentiellement un casse-tête diplomatique puisque le 'territoire allemand' comprenait des parties du Gabon, des parties de la République centrafricaine et de la Guinée équatoriale. Ces pays seraient en droit de soupçonner le Cameroun de faire des premiers pas vers une éventuelle absorption. Si de telles craintes n'expliquent pas pourquoi ces pays hésitent à s'engager pleinement dans une zone de libre-échange, du moins expliquent-elles pourquoi l'ère allemande n'est pas une référence sûre sur laquelle peut se construire une identité politique du Cameroun moderne.
2.1.2. Référence bantoue
Dans leur effort de rechercher une identité politique et culturelle qui couvre l'ensemble du territoire du Cameroun moderne et diluer l'identité anglophone dans le processus, les idéologues francophones suggèrent également que l'ensemble des périodes coloniale et de protectorat étaient des périodes sombres dans l'histoire de l'Afrique et que l'identité politique africaine (et l'identité politique camerounaise en l'occurrence) doit précéder l'arrivée des Européens. Ces idéologues déclarent qu'avant des Européens «nous étions tous Bantou»
Eh bien… pas tout à fait, et j'ai mené une expérience simple pour le démontrer. J'ai superposé une carte du Cameroun moderne sur dix cartes différentes provenant de différentes sources qui montrent le territoire des anciens peuples bantous. Dans tous les cas, le territoire bantou ne couvre pas ce qui est actuellement les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest.
Encore une fois, l'argument bantou échoue au test d'identité.
2.1.3. Fédéralisme communautaire
Plus récemment, le député et leader du parti politique PCRN a proposé de nouvelles lignes pour un éventuel arrangement fédéral basé sur les communautés culturelles.
La proposition rassemble les régions du Nord, combine les régions du Centre, du Sud et de l'Est en une seule communauté, rassemble les régions de Grassfield (Ouest et Nord-Ouest) et met ensemble le groupe Sawa (Régions du Littoral et du Sud-Ouest).
Cet effort fait trois choses qui prouvent une crise francophone. Premièrement, il essaie de trouver des dénominateurs communs sur lesquels une identité camerounaise (ou des identités camerounaises) peut être fondée ; deuxièmement, il nie une identité anglophone et enfin, il démontre un engouement que les francophones ont pour se trouver une identité tout en refusant aux anglophones ce qu'ils revendiquent et défendent. 2
2.2. Les anglophones : une minorité têtue
Le deuxième indice de l'existence d'une crise francophone au Cameroun est le fait que la persistance de l'instabilité actuelle révèle de multiples échecs de l'hégémonie francophone à soumettre la communauté anglophone.
La violation en 1972 de l'article 47 de la constitution de 1961, la suspension du poste de vice-président, le changement de nom de République fédérale en République unie puis et en La République du Cameroun, l'hyper-centralisation du gouvernement, l'érosion systématique des cultures éducatives et judiciaires de la communauté anglophone n'ont pas causé l'assimilation totale attendue.
En conséquence, les anglophones sont perçus comme une minorité têtue.
Le refus de la majorité francophone de reconnaître les causes profondes du problème actuel est l'expression d'une communauté francophone en crise d'aveu de ses échecs.
2.3. Crise de leadership
La communauté francophone a aussi du mal à accepter son leadership défaillant et, je pense, son incapacité à admettre sa lâcheté se manifeste par l'opprobre qu'elle verse sur la communauté anglophone. Certaines des réformes politiques les plus importantes au Cameroun peuvent être attribuées aux anglophones.
2.3.1. Lorsque les anglophones ont demandé le retour au multipartisme au début des années 1990, les francophones ont rejeté l'idée. Cependant, les anglophones ont eu gain de cause et les francophones sont actuellement fondateurs de plus de 85% des partis politiques autorisés au Cameroun.
2.3.2. Lorsque les anglophones ont demandé une institution indépendante pour la gestion du sous-système d'éducation anglophone, le sous-système francophone a obtenu l'Office du Baccalauréat.
2.3.3. Lorsque les anglophones ont réclamé un retour au fédéralisme en 1993 et 1994, les francophones ont protesté contre ce qu'ils ont qualifié de demande scandaleuse. Cependant tout le pays a obtenu la décentralisation à la grande joie des francophones.
2.3.4. En réalisant que la décentralisation tardait à se faire appliquer et qu'ils auraient été roulés dans la farine lors de la Tripartite 1995, les anglophones ont poussé la demande plus loin et tout le monde (y compris les francophones) a obtenu, enfin, l'application de la décentralisation.
2.3.5. Lorsque les anglophones ont protesté contre les enseignants francophones dans les collèges et universités anglophones, toutes les universités ont été réformées.
2.3.6. Les francophones ont finalement convenu qu'il était bien que les élèves portent l'uniforme à l'école comme les anglophones le faisaient déjà depuis des lustres.
Alors, si la crise au Cameroun devait être attribuée à l'une des communautés historiques, ce devrait être une crise francophone, pas une crise anglophone. La crise est le résultat des échecs systémiques et systématiques du leadership de la majorité et de la projection de ces échecs sur la minorité.
2.4. Un système éducatif en échec
Le sous-système d'éducation francophone a également orchestré la détérioration de la qualité de l'éducation au Cameroun.
2.4.1. C'est le système d'éducation francophone qui a introduit l'idée qu'une note inférieure à la moyenne pouvait être une réussite à un examen.
2.4.2. C'est le système francophone qui a validé l'idée qu'un candidat à un examen professionnel pouvait réussir non pas en raison de ses performances ou de ses compétences mais en raison de son origine… et à cela, il a donné un nom.
2.4.3. Malgré le rejet de la prédominance qualitative du sous-système d'éducation anglophone, non seulement le système de certification dans les universités francophones a été modifié pour rimer avec le système anglophone mais aussi, les écoles anglophones ont été inondées d'apprenants francophones.
Les exemples abondent qui montrent que contrairement à l'illusion d'une crise anglophone, il existe une véritable crise francophone au Cameroun. Certains ont même fait allusion au fait que c'est le fantôme du parti UPC qui hante ses tortionnaires. D'autres ont fait valoir que l'effondrement politique, social, économique et culturel de l'Afrique francophone n'est pas seulement révélateur d'un échec plus large du concept de francophonie, mais aussi que la crise au Cameroun est une manifestation de cet effondrement. Les échecs de l'éducation francophone, du leadership politique, de l'identité et de l'intendance nationale sont graves et cette gravité est rendue encore plus criante lorsqu'elle est vue sous le prisme du système et du patrimoine anglophones.
Lorsque Jean Paul Sartre dit "l'enfer c'est les autres", il fait référence à la lutte existentielle constante de se voir dans la conscience d'autrui. La posture politique, la projection psychologique et le miroir métaphysique de soi dans la conscience de l'autre expliquent qu'une crise francophone profonde s'appelle crise anglophone.
CONCLUSION
L'idée d'une «fausse crise anglophone» n'est pas fondée si elle signifie que les griefs formulés par les anglophones n'ont pas de fondement. Aussi, et probablement à l'insu de l'auteur de « La fausse crise anglophone » évoqué plus haut, il est juste de qualifier la « crise anglophone » de « fausse » puisque l'appellation reflète mieux les insécurités collectives de la communauté francophone.
SOMMAIRE
1. IL Y A UN PROBLÈME ANGLOPHONE AU CAMEROUN
- Violation de l'article 47 de la constitution de 1961
- Efforts systématiques pour éroder l'identité anglophone
- Marginalisation généralisée
- Érosion systématique de la culture judiciaire
- Accès inégal aux opportunités et aux ressources
2. IL N'Y A PAS DE CRISE ANGLOPHONE AU CAMEROUN
- Les anglophones connaissent leur histoire, sont d'accord sur elle et la défendent
- Il existe des dénominateurs historiques, culturels et politiques qui unissent la communauté anglophone en un tout homogène.
- Les anglophones connaissent leur statut de partenaire égal (dans l'esprit des accords de Foumban de 1961) au sein de l'union et n'en demandent pas plus... Sauf quand ce minimum est refusé
- Les griefs des anglophones peuvent avoir mûri à travers diverses crises de l'histoire du Cameroun post-1972, mais n'ont jamais muté
3. IL Y A UNE CRISE FRANCOPHONE AU CAMEROUN
- La communauté francophone n'a pas une identité politique, culturelle et même managériale homogène.
- La destruction du parti UPC dans les années 1950 et 1960, la nécessité de créer un homme fort pour remplacer le culte de l'UPC en 1960 puis de créer un culte autour d'une autre personnalité au début des années 1980 ont fait que l'histoire a été maintes fois révisée et de plusieurs façons. Cela a conduit à une perte complète des référents historiques nécessaires pour construire une communauté viable.
- Malgré les efforts pour subjuguer les anglophones, les francophones ne supportent pas le fait que les anglophones déterminent toujours l'agenda politique ou que la queue continue de remuer le chien.
- En résumé, la majorité francophone a mal géré ce qui aurait pu être une bonne union et est mécontente que la minorité anglophone le fasse savoir... C'EST CELA, LA CRISE FRANCOPHONE
Harry ACHA
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