LE PROBLEME ANGLOPHONE

Par Harry Fon ACHA
Traduction de Nicole Hanffou
19 décembre 2016

QU'EST-CE QUE LE PROBLEME ANGLOPHONE ?

Les dernières semaines seront enregistrées dans l'histoire du Cameroun comme une période où certains Camerounais ont décidé de se lever contre ce qu'ils perçoivent comme la marginalisation systématique d'un peuple qui, en vertu de leur patrimoine commun (éducation, culture, mode de vie, etc.) constituent une communauté reconnaissable ; et, en vertu de l'histoire, une entité politique.

Ces temps seront connus et on s'en souviendra parmi des chapitres tels que:
 1. Le vent du changement par lequel un semblant de démocratie fît une percée et l'apparence du retour de la politique multipartite sur la scène camerounaise en 1990.
 2. Les troubles qui ont entourés la modification de la Constitution en 2008.

Toutefois, ce qui est propre aux troubles actuels, c'est qu'ils n'ont pas engagé la nation entière de la même manière que ceux de 1990 et 2008. Plutôt, leur épicentre se trouve dans les régions Nord-Ouest et Sud-Ouest qui, et ce n'est pas une coïncidence, sont aussi les parties du Cameroun dénommées Southern Cameroons avant le 1er octobre 1961.

Étant donné que ces parties du pays ont été administrées par les Britanniques après la défaite des Allemands lors de la première guerre mondiale, les traditions administratives, la gestion de la communauté, l'éducation, la tradition juridique, la perception du gouvernement et de la gouvernance y sont inspirées par la tradition britannique.

Et bien sûr, pour la raison ci-dessus, la langue principale de l'administration et de l'enseignement dans ces régions est l'anglais... tout-à-fait légitimement , de la même façon que le français et la tradition française sont majoritaires dans les régions du Cameroun anciennement administrées par les Français.

En tant que tel, s'il y a des troubles dans des parties du pays où l'anglais est la principale langue de travail, il est juste de conclure qu'un problème existe dans une partie du pays où l'on parle en grande partie anglais et à ce titre, c'est un problème anglophone qui ne veut pas dire, pour le moment, que les anglophones ont un problème parce qu'ils sont anglophones. C'est important parce que cela constitue une autre dimension du problème que nous allons établir plus tard.

Notez que le dictionnaire Webster définit le terme ‘anglophone’ comme «consistant en une population d’expression anglaise, en particulier dans un pays où deux ou plusieurs langues sont parlées.»

Il n'y a donc rien de mal ou d'effrayant provenant de l’emploi du terme ‘anglophone’, et il n'y a point de défiance de l'autorité d'État à admettre l'existence d'un problème anglophone. C'est un fait simple et son déni constitue en réalité une partie du problème.

Alors, pourquoi nier l'existence d'un problème anglophone ? Il me semble qu'il n'y a rien de mal à mentionner directement M Paul Atanga Nji, Ministre Chargé de Missions à la présidence, comme l'un des négateurs du problème anglophone, étant donné que son opinion est d’une clarté sans équivoque. Pourquoi les gens comme M. Paul Atanga Nji nient l'existence d'un problème anglophone ?

La réponse est simple. Si vous admettez l'existence d'un problème, vous avez la responsabilité morale de le résoudre. Le nier a pour conséquence de soustraire immédiatement sa substance de l'ordre du jour de l'action gouvernementale. Ou peut-être que les opinions de ceux de la trempe du ministre Paul Atanga Nji sont des opinions personnelles (auxquelles ils ont droit) et ne reflètent pas la position du gouvernement. En fait, il y a des preuves à cet effet. À la suite de la grève des enseignants et des avocats,

• Le premier ministre a personnellement mené une série de pourparlers avec les syndicats d’enseignants;
• Le Chef de l'État a signé un décret visant à répondre à certains des griefs des enseignants;
• Le gouvernement a demandé et obtenu une version anglaise de la loi OHADA dont l'absence avait été soulevée par des avocats.

Alors, soit le gouvernement essaie de résoudre un problème sans admettre son existence, ce qui, une fois de plus, ferait partie du problème, soit le Ministre Paul Atanga Nji agit contre l'objectif du gouvernement... ou les deux. Dans l'un ou l'autre cas, le gouvernement doit maintenant s’accommoder du problème anglophone et du problème Atanga Nji.

QU'EST-CE QUE EN SUBSTANCE LE PROBLEME ANGLOPHONE?

Jusqu'à présent, nous avons établi que les anglophones ont un problème. Ils se plaignent de quelque chose. La légitimité de cette plainte est une question distincte..., et nous allons y en venir.

Notre objectif est de démontrer que les griefs des anglophones ne sont pas seulement des griefs d'individus qui viennent d'un lieu géographique délimité, mais ce sont des griefs d'une communauté qui, en vertu de l'histoire et de la culture, constituent une entité politique de surcroît, ces griefs sont directement connectés à cette homogénéité. Pour atteindre cet objectif, nous traiterons de la déviance structurelle, de la normalisation de la déviance et de la déviance institutionnelle.

1. LA DÉVIANCE INSTITUTIONNELLE

Nom officiel du pays

Le nom officiel du Cameroun est la démonstration la plus convaincante du problème anglophone. Aussi bénin que cela puisse sembler, le nom de ce pays: La République du Cameroun, est une source potentielle de destruction du pays dans sa forme territoriale actuelle.

Notez qu’avant que les Cameroons/Cameroun administrés par les britanniques et les Français se soient associés, la partie française était appellée La République du Cameroun. Apres la Réunification le pays a pris le nom de République Fédérale de Cameroun. Le terme ‘fédéral’ reconnaissait au moins deux entités politiques qui avaient décidé de se fédérer.

En 1972, le pays a été rebaptisé République Unie du Cameroun. Bien que cela ait été contraire à l'esprit des accords de Foumban qui ont conduit à la fédération de 1961, au moins, le terme ‘Unie’ rappelait que plus d'une entité politique était en unité, ou comme l’avocat Harmony Bobga le formule, composaient une expérience de l'unité.

Le problème avec le nom actuel du pays : La République du Cameroun, n'est pas seulement qu'il ne contient plus aucun rappel ou indication que deux entités politiques sont entrées dans une union mais aussi et surtout que c'est exactement le nom du Cameroun francophone avant la fédération.
Suggestion : LES ANGLOPHONES N'EXISTENT PAS en tant qu'entité politique homogène... LES ANGLOPHONES n'ont jamais existé... Le nom du pays est exactement le même que celui de l'une des entités politiques avant 1961.

C'est pour cette raison que certains anglophones pensent qu'ils ont été colonisés, occupés ou simplement éliminés.

Dissolution de la chambre des chefs

Les Français ont gouverné au Cameroun par l'intermédiaire d'administrateurs coloniaux présents sur le terrain pour mettre en œuvre la politique coloniale. Par conséquent, dans cette partie du pays, le Cameroun français, le pouvoir et l'autorité, sont considérés comme la chasse-gardée incontestable de l'exécutif.

Dans la partie du Cameroun administrée par les britannique, l'administration coloniale semblait distante et l'autorité et le pouvoir étaient exercés par l'intermédiaire des chefs locaux. Par conséquent, la puissance et l'autorité sont perçues au Cameroun anglophone comme la chasse-gardée du peuple.

En tant que tel, et bien sûr, la chambre des chefs constituait un élément clé de l'administration du Cameroun anglophone. Eh bien, elle a été dissoute... et une partie de la façon anglophone de gérer la communauté est partie avec la dissolution.

2. DEVIANCE NORMALISEE

Ce sont vraiment des exemples de déviance qui ont tellement fossilisés dans la conscience générale qu'ils semblent normaux.
Premièrement, durant plus de 50 ans, l’actuel et l’ancien Chefs d'État ont fait de nombreux discours ; et bien que le Chef d'État actuel ait fait quelques petites parties d'une poignée de discours en anglais, aucun Chef d'État camerounais N’A JAMAIS fait un discours complet en anglais. En fait, les camerounais anglophones ne savent pas ce qu'ils ressentiraient si le Chef d'État faisait un discours complet dans la langue officielle qui pour eux est la première.

Il s'agit d'une plainte que les Camerounais francophones ne peuvent faire, excepté en solidarité avec les anglophones ou pour la défense de ce qui est juste

Deuxièmement, aucune décision majeure, telle que la modification de la loi ou de la procédure ou la composition d’un nouveau gouvernement ou toute autre question d'état, n'a jamais été annoncée d’abord en anglais, et je ne suis pas au courant de quelque décision pour laquelle la version française est une (n'est qu'une) traduction.

Il y a un grand journal radio à 15 heures en anglais et un grand journal radio à 17 heures en français. Il y a aussi un grand journal télévisé à 19h30 en anglais et un grand journal télévisé à 20h30 en français. Peut-on dire que depuis plus de 50 ans, toutes les décisions importantes ont été prises entre 15h30 heures (après les nouvelles radiodiffuséées en anglais) et 17 heures (avant les nouvelles radiodiffusées en français) ou entre 20 heures (après les nouvelles télédiffusées en anglais) et 20h30 h (avant les nouvelles télédiffusées en français) et ainsi annoncées dans le prochain journal disponible qui est en français ? Ce serait ridicule.

Il semble plus plausible que les décisions soient prises à n'importe quel moment de la journée MAIS DOIVENT ÊRE ANNONCÉES EN PREMIER LIEU EN FRANÇAIS.

Une fois de plus, les Camerounais francophones ne peuvent émettre une plainte analogue, sauf en solidarité avec les anglophones ou pour défendre ce qui est juste.

Troisièmement, tous les ministères sont nommés en français en premier, puis en-dessous en Anglais, la plupart du temps en caractères plus petits, comme une note de bas de page non pertinente. Bien sûr, on ne peut pas remarquer si on n’est pas anglophone ou si on n’est pas solidaire des anglophones.

Quatrièmement, les sites Web de tous les ministères du gouvernement sont en français et dans la plupart des cas, le sous-site anglais n'est pas mis à jour, est indisponible ou traduit à l’aide du traducteur Google. Les informations, lorsqu'elles sont rendues accessibles aux anglophones, ne sont donc pas des nouvelles ou sont dans une langue si approximative que cela frise l’insulte.

L'exemple final est la relation du Cameroun avec le Commonwealth. Le Chef de l'État du Cameroun n'a assisté à un sommet du Commonwealth qu'un ou deux fois mais il participe régulièrement aux sommets de la Francophonie qui semblent plus importants pour lui que les sommets de L'Union Africaine. La présence du président français aux sommets de la Francophonie, l'étendue de l'investissement français au Cameroun, les cartes diplomatiques qui peuvent être jouées à ces sommets peuvent constituer des facteurs dans la décision du Chef de l'État d'y assister. Fair play? Mais alors, sa non-présence aux sommets du Commonwealth pose la question de savoir pourquoi un rapprochement économique similaire n'est pas fait avec les pays du Commonwealth?

Le comble de la négligence... que certains appellent marginalisation et que j'appelle provocation, RAPPELLEZ-VOUS le Chef de l'État a trouvé bon d’abordé une réunion des parlementaires du Commonwealth en français.

3. LA DEVIANCE STRUCTURELLE

Ce qui suit sont des cas de déviance qui enveniment le sentiment d'appartenance des camerounais anglophones à la nation ou causent un déséquilibre structurel à leur progrès.

Au cours de la période fédérale, 1961-1972 des écoles professionnelles ont été créées pour assurer la formation des professionnels nécessaires au développement de l'État fédéral du Cameroun occidental de l’époque. Toutefois, au début des années 70, une tendance inquiétante a commencé : l’assujettissement structurel dont les anglophones faisaient l’objet. La principale école de formation des enseignants à Bambili est devenue une annexe à la faculté de formation des enseignants à Yaoundé et le College de Yaoundé est devenue une école supérieure de formation des enseignants (ECOLE NORMALE SUPERIEURE). L'école des postes et des télécommunications à Buea est devenue une annexe et une école supérieure de postes et télécommunications (ENSPT devenue SUP’PTIC) ouverte à Yaoundé.

Les écoles de travaux publiques, les écoles de l'administration publique et les écoles de soins de santé ont suivi le même schéma. CONSÉQUENCE : L'accès, aux niveaux plus élevés de formation, au moins du fait de la proximité des établissements, est devenu la chasse-gardée des francophones.

Le fait que les anglophones se retrouvent députés de francophones dans l'administration publique est une réalité de l'ingénierie sociale systémique délibérée, c'est un Problème Anglophone.

Considèrez le cas de la formation des enseignants. Cet exemple passe habituellement inaperçu. En 2010, un deuxième cycle a été créé à Bambili pour former les enseignants au second cycle de l'enseignement supérieur. Si les premiers diplômés sont sortis deux ans plus tard, cela signifie que durant 51 ans, les anglophones pouvaient au mieux être formés au niveau du premier cycle (PCEG). Ou, s'ils avaient un diplôme d'enseignant second cycle (PLEG), alors ils étaient soit

 A. Professeur d'anglais / Français (lettres bilingues)
 B. Enseignant d'anglais (lettres modernes anglais)
 C. Enseignant de toute autre matière à condition qu'ils aient pris 90 % de leurs cours en français.

L'impact est que depuis 51 ans, les jeunes francophones ont généralement été enseignés par des enseignants formés à un niveau plus élevé que les jeunes anglophones. Dans d'autres domaines, cette même technique serait considérée comme une épuration ethnique douce. Toutefois, pour l'usage de la courtoisie, nous allons l'appeler un problème anglophone.

Jusqu'au milieu des années 90, il a fallu aux anglophones sept ans pour achever l'enseignement primaire comparativement à six ans pour les francophones. Cela donnait à ces derniers une avance d'une année. En outre, pour les recrutements qui nécessitent des Anglophones au moins le niveau GCE O’Level obtenu après cinq années d'enseignement secondaire, le BEPC obtenu après quatre ans était exigé des francophones. Cumulativement, cela donne aux francophones deux ans d’avance sur les anglophones. Vu comme tel, le fait que les anglophones sont généralement des députés de francophones peut être considéré comme juste du point de vue de l'expérience, mais la causalité sociale sous-jacente est criminelle.

Avant la création de l'Université de Buéa en 1992, les Anglophones qui entraient à l'Université devaient s'adapter à la rencontre avec leurs camarades francophones. LA RAISON: Les programmes d'études universitaires étaient essentiellement fondés sur la structure et le contenu des programmes du baccalauréat. Les anglophones qui avaient appris à prendre une question et à y RÉPONDRE devaient maintenant apprendre à rédiger une dissertation (modèle francophone). Ils devaient faire face à des concepts tels que «Amener le sujet» et «Poser le problème» avant de répondre à la question. CONSÉQUENCE: Les anglophones s’en allèrent simplement... ou quand ils sont restés, ils sont devenus francophonisés. En tant que tel, lorsque les avocats et les enseignants demandent le respect de la manière anglophone de faire des choses en utilisation des provisions de la loi Ohada comme exemple, la simple traduction du texte que le gouvernement brandit ne résout pas le problème. Les questions en jeu sont plus profondes, si profondes qu'elles constituent un Problème Anglophone.

Dans le sous-système éducatif anglophone, les étudiants commencent à apprendre la chimie, la biologie et la physique comme des sujets distincts dès la première année d'enseignement au secondaire. Dans le sous-système francophone, les étudiants apprennent un sujet général appelé science jusqu'à la quatrième année. Ainsi, quand un enseignant d’un contexte francophone est envoyé pour enseigner la chimie aux étudiants en première année d'enseignement secondaire, sa philosophie de chimie pour un enfant de 10 ans est différente de celle prescrite par la culture du sous-système anglophone... Cela, s'il a la compétence linguistique pour donner ses leçons. Donc, lorsque les enseignants demandent aux enseignants francophones d'être transférés des écoles anglophones, cela n’a rien à voir avec la xénophobie, ni avec une mise en question de leur compétence dans une perspective plus large. En fait, cela a à voir avec une philosophie et une culture. C’est la défense de cette philosophie et de cette culture qui constitue le Problème Anglophone.

Il en va de même pour les juges. Un juge formé dans la tradition du droit civil n'a pas le plein complément d'objectivité d’un avocat plaidant une affaire, détenteur d’un background en droit commun (Common Law) et ayant construit son procès sur les fondements de cette tradition. L'appel au redéploiement des juges francophones des tribunaux anglophones n'est donc pas un rejet de leur compétence, mais une critique de leur capacité d'adaptation à une tradition juridique différente. En tant que tel, c’est un problème que les anglophones ont parce qu'ils sont des anglophones, ce qui signifie que leur identité linguistique est inextricablement attachée à une identité culturelle.

Il convient également de noter la langue utilisée sur les billets en banque au Cameroun. Le fait qu'un seul mot en anglais ne soit trouvé sur un billet de banque utilisé au Cameroun est quelque chose de plus pernicieux que le terme marginalisation ne peut exprimer. C'est un problème dont les Camerounais francophones ne peuvent pas se plaindre excepté par solidarité... C'est un Problème Anglophone.

Enfin, il ne faut pas oublier que lorsque les Anglophones ont appelé de leurs voeux la création du GCE Board pour gérer les examens dans le sous-système d’expression anglaise, le l’Office du Baccalauréat a été créé en premier lieu pour les examens dans le sous-système francophone... comme pour dire que ce qui est bien doit être donné aux francophones en premier lieu, même si ils ne l'ont pas demandé.

Il ne faut pas non plus oublier qu'au Cameroun, lorsqu'il y a une différence dans l'interprétation des versions anglaise et française de la même loi, il est fait référence à la version française.

Ces injustices sont réelles et elles affectent de vrais gens. Elles sont tellement systématiques qu'elles semblent manifestement délibérées et en fin de compte criminelles. Il est vrai que l'honorable Wirba a cité Thomas Jefferson... mais je veux citer l'honorable Wirba : «Quand l'injustice devient la loi, la résistance devient un devoir.»

Ce sont aux injustices ci-dessus que les anglophones résistent.

CE QUE LE PROBLEME ANGLOPHONE N’EST PAS

Le problème anglophone n’est pas une question de savoir combien d’anglophones sont au gouvernement. En fait, ce genre de référence est destiné à distraire des principales questions en jeu.
Le problème anglophone n'a rien à voir avec le fait que le premier ministre est anglophone. En fait, si c'était le cas, un rappel peut-être à l’effet que le Chef de l'État est francophone atténuerait l'argument. Et si ça n’est pas suffisant, rappelez-vous que le président de l'Assemblée Nationale, le président du Sénat, le Président de la Cour Suprême, le Procureur Général, le Président du Conseil Économique et Social, le Secrétaire Général à la Présidence, le Chef d’État-Major de l’Armée, le Chef de la Police sont également francophones.

Le problème anglophone n'a rien à voir avec de mauvaises routes et de hauts niveaux de chômage dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Bien entendu, ces questions ont été soulevées parmi les griefs et ont fait l’objet de dénis de ceux prompts à dire que les conditions des routes et d'autres problèmes sociaux sont pires dans d'autres régions. Au contraire, lorsque les anglophones se plaignent de mauvaises routes et de prestations de services dysfonctionnelles, le point est qu'en tant que fédération, ils auraient mieux géré leur infrastructure. En outre, peut-être que les anglophones ont une tolérance différente pour ce qui est acceptable et la légitimité de leurs plaintes n'est pas fonction du fait que d'autres régions se sont plaint ou pas. En fait, il convient de rappeler que lorsque la vague de manifestations réclamant le retour à la politique multipartite, a commencé à Bamenda en 1990, ce n'était pas parce que d'autres parties du pays avaient des parties autres que le parti au pouvoir. Les conditions étaient partout identiques, mais la tolérance des anglophones à ce qui est acceptable était différente.

Le problème anglophone n'est pas de savoir combien de personnes parlent les deux langues, et ce n'est pas non plus combien de mariages y a-t-il entre les Anglophones et les francophones. Certains ont soulevé de telles considérations dans le but de délégitimmiser les griefs. Eh bien, c'est autant une distraction que ce n'est qu'une absurdité et ça ne mérite pas d'autre commentaire.

AUTRES ERREURS AUTOUR DU PROBLEME ANGLOPHONE

Certains ont soutenu que la pensée d'un retour au fédéralisme est une régression. Eh bien, ce n'est pas le cas. Aussi simpliste que le contre-argument de la chronologie puisse être dans son rejet de la question, l’argument de la chronologie est non moins un argument de fait qui établit que le fédéralisme est un progrès. Peut-être le problème réside-t-il dans le fait que la question est présentée comme un retour au fédéralisme plutôt que comme l'institution du fédéralisme (bien que l'institution ici signifie la «ré-institution»). Si cet argument ne tient pas, il serait juste de soutenir que l'institution de la politique multipartite au Cameroun au début des années 90 était un retour à la politique partisane multipartite et donc un recul par rapport à la politique multipartite pratiquée avant 1972. La logique de l'historicisme dialectique rend également absurde la pensée que le retour du fédéralisme est synonyme d'un recul. Il y a de nombreuses chances que le jacobinisme de droite puisse prendre la présidence française en 2017 sans que cela soit vu comme un retour de 300 ans dans le temps.

Une autre argutie qui a été récurrente dans le déni de la légitimité du problème anglophone est l'argument colonial. Selon les partisans de cet argument, l'identification des groupes en tant que anglophone ou francophone est une référence coloniale qui ne tient pas compte du fait qu’avant les administrations britanniques et françaises, le Kamerun allemand couvrait tout le Cameroun moderne. Cet argument est très imparfait pour de nombreuses raisons. Premièrement, si le fait d’avoir été un territoire administré par les allemands satisfait à la proposition contre une division anglophone / francophone, la référence allemande n'est pas moins coloniale. Deuxièmement, si la période allemande couvre mieux l'histoire du Cameroun, pourquoi les partisans de cet argument ne font pas cas du retour de la Guinée équatoriale et des parties du Gabon dans le giron du Cameroun moderne... étant donné que celles-ci aussi faisaient partie du territoire allemand?

Troisièmement, si un pas de plus avant l'arrivée des Britanniques et des Français, doit être franchi pourquoi s'arrêter aux Allemands et ne pas remonter plus loin aux explorateurs Portugais ayant nommé le territoire?

En fait, l’histoire n’enregistre aucun empire ancien qui s’étendait sur tout l’actuel Cameroun moderne de la même manière que l’Empire Ashanti s’étendait sur tout l’actuel Ghana moderne ou l’Empire Songhaï couvrait tout le Mali. En tant que tel, le Cameroun a l'occupation européenne à remercier pour sa forme territoriale actuelle.

Qui plus est, les Portugais n'ont jamais mis en place une administration analogue à celle des occupants ultérieurs. Les Allemands, pour leur part, n'ont pas été assez longtemps dans les parages pour imprimer le genre d'impact socio-culturel que les Britanniques et les Français ont produit.

La preuve de ce qui précède est que les langues anglaise et française sont les facteurs socio-linguistiques uniques qui traversent les 250 unités ethniques du Cameroun. Le fait que les Camerounais soient composés d'anglophones et de francophones ne doit donc pas être honteux ou épeurant. C'est un fait, c’est ce que nous sommes.

En contredisant le fait qu'en 60 ans, les anglophones n'ont jamais tenu les portefeuilles de ministre de la défense, ministre des finances, ministre de l'administration territoriale, ministre des affaires étrangères, chef de la police, ministre de l'éducation, un argument étrangement fallacieux a été fait par un monsieur plutôt curieux. Convaincu que l'idée défiait le bon sens, il eu recours en guise d’intimidation à l'argument selon lequel, dans la plupart des pays, le Chef de l'État est le ministre des affaires étrangères et le ministre de la défense. C'est évidemment un mensonge. En outre, si l'idée avait un sens, il faudrait aussi faire valoir que le Chef de l'État n'est pas moins le ministre des affaires étrangères qu'il n'est le ministre du tourisme ou des sports. Et si cette ligne de pensée doit être poursuivie, une question importante sera simplement traînée dans un petit endroit puant où il est nécessaire de tirer la chasse d’eau.

QUI EST ANGLOPHONE ?

Cette question est cruciale dans la compréhension des enjeux socio-culturels et politiques de la problématique anglophone et de la durabilité de la cohésion sociale. Différentes dynamiques sociales et engagements par rapport à la question anglophone placent les Camerounais à différents niveaux du «spectre anglophone.»

NIVEAU 1
Étant donné que le Cameroun a deux langues officielles (anglais et français) et que ces deux langues sont des facteurs d'hégémonie linguistique dans un pays avec plus de 200 langues, un anglophone est un camerounais dont la première langue officielle est l'anglais.

NIVEAU 2
Ce sont des personnes qui descendent des lignées ancrées dans l'ancien Cameroun Occidental. Leur première langue officielle pourrait ne pas être l’anglais.

NIVEAU 3
Ce sont des francophones dont la langue d'enseignement est l'anglais, qui ont appris l'anglais plus tard dans la vie, de façon suffisante pour être affectés par la tradition anglaise ainsi que des francophones dont la langue d'enseignement est le français mais qui ont vécu assez longtemps dans les zones de langue anglaise qu'ils ont intégré le mode de vie anglophone. Ils sont victimes de certaines déviances soulignées plus haut et, ceux qui n’en sont pas victimes, comprennent au moins que les anglophones souffrent d'injustices institutionnelles en raison de leur patrimoine.

NIVEAU 4
Le niveau le plus élevé du spectre inclut les Camerounais qui peuvent ou peuvent ne pas parler anglais et qui peuvent ne pas être descendants de Cameroun occidental mais qui comprennent le problème anglophone tel qu'il est présenté ci-dessus, admettent son existence et défendent activement le droit de protéger le patrimoine, les valeurs des Anglophones dans l'esprit des accords de Foumban.

La raison pour laquelle le niveau le plus élevé «d’anglophonité» comprend des personnes qui ne parlent pas anglais, c'est que «l’anglophonité» au Cameroun n'est pas seulement une identité linguistique, mais une perspective socio-politique sur l'histoire, la gestion et l'évolution politique du Cameroun.

SECESSIONNISTES ET MANIPULATION

Les anglophones du niveau 1 et du niveau 2 ne comprennent pas nécessairement le point de convergence entre «l’anglophonité» et la forme de l'État. C'est important parce que la question de la forme de l'État a été une question de débat autour des manifestations qui ont été observées dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest récemment. Les oppresseurs des anglophones ont fait des déclarations telles que:

• il n'y a pas de problème anglophone au Cameroun,
• le Cameroun est Un et Indivisible et la forme de l'État n'est pas à l'ordre du jour de la discussion,
• ceux qui plaident l'existence d'un problème anglophone devraient se constituer en parti politique.

Le problème anglophone s’avère aussi vieux que l'expérience de l'unité. Au cours des négociations qui ont débouché sur les accords de Foumban, certains furent suspicieux des intentions de la délégation francophone. Bien sûr, ils étaient en minorité et les accords furent signés.

Leur contribution fût toutefois instrumentale à l’élaboration d’un plaidoyer en faveur du fédéralisme et contre l’unitarisme. Et bien qu'ils se soient conformés à la majorité, ils l'ont fait dans l'espoir plutôt que dans l’expectative.

1990: la centralisation du pouvoir était devenue autoritaire, l'économie était en désordre, les difficultés pour les anglophones d’émerger d'un système fortement partial en faveur des francophones mûrissaient, le vent du changement soufflait sur l'Afrique... La fenêtre d'opportunité créée par l'appel à la politique multipartite a vu la résurgence des sceptiques dans le cadre d'un mouvement sécessionniste - Le Southern Cameroons National Congress (SCNC). Ces derniers ont demandé la sécession comme solution à la situation corsée des anglophones. Une conférence anglophone s’est tenu à Buea en 1992 et une autre en 1994 à Bamenda pour discuter de l'état de l'union et «statégiser» en vue d’une éventuelle rupture. À cette période, les principaux émissaires anglophones de la conférence de Foumban, MUNA et FONCHA avaient déjà exprimé ou suggéré leur déception par rapport au non-respect des termes et de l'esprit des accords de 1961. La pression montait à la fois à l'intérieur qu’au niveau international.

Le gouvernement a cédé et a fait quelques concessions :
• le poste de premier ministre est revenu et a été accordé à un anglophone;
• L'Université de Buéa a été créée en tant qu'Université anglo-saxonne;
• le Cameroun s'est joint au Commonwealth;
• une nouvelle constitution a été adoptée, qui comprenait la décentralisation comme alternative au fédéralisme ou à la sécession.

Ce qui devrait être relevé de ces événements, c'est que aussi mécontents de Foumban que l’étaient certains Anglophones, ils reconnurent leur minorité et ne réapparurent que lorsque l'échec de la mise en œuvre de la représentativité minimale, l'accès à l'opportunité et la protection du patrimoine anglophone devinrent si douloureusement évident.

Les circonstances qui ont conduit aux appels à la sécession en 2016 sont exactement similaires.

Le fait que le pays ait traversé une période de violence (avec l'épicentre à Bamenda) avant que la politique du multipartisme ne soit revenue, le fait que MUNA et FONCHA désavouèrent la gestion de l'union et que ces derniers ont abouti à des appels à la sécession, c'est la preuve des conséquences de l’absence de dialogue ou c’est la preuve que le gouvernement actuel ne s'ouvre au dialogue que lorsque l'alternative menace la continuité de son règne... Exactement comme en 2016.

Pas un seul anglophone place la carte sécessionniste sur la table en premier lieu. Plutôt, les anglophones
 1. Remarquent les injustices,
 2. Puis se plaignent,
 3. Appellent ensuite à un dialogue,
 4. Puis menacent de grève,
 5. Et jouent alors la carte du fédéralisme,
 6. Finalement, ils jouent la carte sécessionniste.

Cela est appellé LE PROCESSUS EN SIX ETAPES.

Bien entendu, si le gouvernement commence à s'attaquer au niveau 1 (injustices) lorsque le plaignant est déjà au niveau 6, les réponses ne peuvent être considérées adéquates.
Les appels à la révision de la forme de l'État font donc suite à l'insuffisance de sa forme actuelle pour traiter les questions en jeu.

Notez que les avocats ont officiellement déposé leurs plaintes en mai 2015 et les sécessionnistes (qui doivent être démarqués des avocats et les enseignants) se sont activés 18 mois plus tard. La seule petite complication était le que le refus du gouvernement de se pencher sur les plaintes de mai 2015 a fait en sorte que les avocats trouvent, quelque peu intéressante, l’alternative sécessionniste.

En tant que tel, lorsque le gouvernement a finalement fourni une version anglaise des lois OHADA, ce n'était pas à moitié aussi intéressant ou aussi pertinent qu'un peu de bonne foi et le dialogue aurait été de 18 mois plus tôt.

En outre, lorsque, dans la chaleur de l'expression des griefs légitimes, des fonctionnaires perturbés ont déclaré qu'il n'y a pas de problème anglophone au Cameroun et que les agitateurs sont sous influence extérieure visant à déstabiliser le pays, le Conseil National de Sécurité et le Chef de l'État, par extension, auraient dû identifier les problématiques réelles et rappeler à l’ordre les auteurs de ces déclarations provocatrice, erronée et aveugle.

Considérant ce qui se passe, si la forme de l'État n'est pas de telle que ses mécanismes garantissent un dialogue productif, alors des questions sur l'utilité de cette forme sont légitimes. Mais si certains affirment que la forme de l'État ne peut pas être discutée, alors la disposition constitutionnelle qui garantit la liberté d'expression est violée.

LA SUITE?

Nous avons essayé de montrer plus haut qu’au-delà d’une l'identité linguistique, être anglophone au Cameroun, c'est une façon d'être... une façon de penser... une façon de s'engager avec un environnement physique, social et politique... LES ANGLOPHONES SONT UN PEUPLE.

Nous avons montré que les anglophones ont un problème au Cameroun.

Nous avons montré que les anglophones ont les problèmes qu'ils ont, parce qu'ils sont des anglophones.

Nous avons établi qu'ils sont ingénieux, méthodiques, patients et qu’ils ont principes.

Nous avons démontré qu'ils sont dotés d’un sentiment patriotique profond, mais aussi que lorsque l'injustice flirte avec la nation, les anglophones n’échangent pas leurs principes pour leur patriotisme.

Les événements récents dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest (« Cameroun Occidental » selon l'honorable Wirba) sont des preuves de tout cela.

Les anglophones ne céderont pas à la menace ou à l'emploi réel de la violence.

Ceux-ci ne renonceront pas à défendre leurs droits et à défendre ce qui est juste.

Le gouvernement prendra des mesures au-delà des solutions cosmétiques offertes jusqu'à présent et le fera parce que s'il ne fait pas le fédéralisme ou davantage (c'est mieux pour certains et pire pour d'autres) viendra plus tôt que la progression naturelle de l'histoire l'aurait fait éclore de toute façon.

Pour ceux qui ne peuvent pas encore le voir, au moins qu’il leur soit laissé entendre que le kaléidoscope a été secoué et que les morceaux bougent.

Le Cameroun va faire l’objet d’une mue, mais la forme politique et l'unicité territoriale seront fonction de la bonne gestion de ses peuples constitutifs.

Aucun anglophone n'est neutre sur la question, étant donné que le sort des anglophones est le produit de l'ingénierie politique délibérée, les anglophones de NIVEAU 1 et de NIVEAU 2 sentiront finalement la pincée de l'oppression et de la marginalisation et ils réagiront en conséquence.

Tous les Anglophones au NIVEAU 3 et au NIVEAU 4 sont à un point ou à un autre dans LE PROCESSUS EN SIX ETAPES.

Toute action gouvernementale ou absence d'action détermine l'activation d'un niveau de réponse.

À la suite des événements de 2016, Le gouvernement fera des démarches pour étouffer la tendance fédéraliste / sécessionniste et céder à plus de demandes des enseignants et des avocats.

Par exemple,
• LES ENSEIGNANTS FRANCOPHONES DANS LES ÉCOLES ANGLOPHONES SERONT REDÉPLOYÉS.
• Une barreau de la common law sera créée;
• Les magistrats du droit civil en zone anglophone seront redéployés;
• La décentralisation sera accélérée;
• les travaux de construction de l’axe Bafoussam - Bamenda commenceront;
• Davantage de membres du gouvernement vont commencer à faire des déclarations en anglais et en français;
• Certains panneaux d’affichage importants vont changer pour donner un plus grand sens à l'équilibre entre les deux langues;
• Une modification majeure ou mineure du gouvernement sera faite de manière à ce que les nouveaux visages dans le dialogue puissent apporter un nouveau dynamisme et un nouvel espoir contre l'impasse.

Ces choses SERONT FAITES... SINON, les anglophones ne feront pas marche arrière et ils ont montré, encore une fois, qu'ils sont patients, mais résolus. Ils ont également montré que leur maintien dans l'union dépend d’eux.

Lorsque ces changements et décisions seront prises, ils bénéficieront à tous les Camerounais, qu'ils aient ou non reconnu l'existence d'un problème anglophone.

Ceux qui continuent de nier l'existence du problème anglophone devront décider de quel côté de l'histoire ils veulent être.

Compte tenu de l'histoire et du tissu socio-politique du Cameroun, la sécession semble peu probable, mais le fédéralisme semble inévitable.

Les seules questions réelles concernant le fédéralisme sont «quand?» et quelle forme prendra ce fédéralisme: 2 + 1 ou 10 + 1 ?

Et si nous en sommes au NIVEAU 5 des six étapes, nous avons un sérieux travail de réconciliation et de gestion à faire. Sans quoi nous risquons de nous retrouver, dans un avenir proche, à discuter de la forme et du territoire actuels du Cameroun comme étant une tentative ratée de l'unité.

Paix à tous.

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